Caen 2026
Troubles psychiques et fonction parentale : quels enjeux pour le développement de l’enfant ?
Entre risques et possibles…
Quel professionnel du secteur social, de la protection de l’enfance n’a pas été, ou n’est pas, plus ou moins, régulièrement confronté à des situations dans lesquelles un parent, un enfant ou un adolescent, est décrit voire même diagnostiqué comme ayant des troubles du comportement, des troubles psychiques ou de la personnalité, une pathologie psychiatrique ou une maladie mentale.
Face à ces situations, chacun a pu se sentir déstabilisé, insécurisé, mal à l’aise dans la relation, voire démuni dans sa posture d’intervention.
Selon l’OMS, la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en l’absence de maladie ou d’infirmité. De même la santé mentale n’est pas figée, elle est « une recherche permanente d’un état d’équilibre psychique, propre à chaque personne, selon ses conditions de vie et les événements qu’elle vit ou qu’elle a vécus ». Ainsi, une personne peut ne souffrir d’aucune maladie psychique sans pour autant se sentir en bonne santé mentale.
Enjeu majeur de santé publique en France, les troubles psychiatriques touchent plus d’un adulte sur cinq (Institut du cerveau) et se traduisent par une hausse continuelle de consommation de psychotropes (anxiolytiques, somnifères, antidépresseurs…).
La santé mentale des jeunes connait également une dégradation avec une hausse des hospitalisations en psychiatrie (anxiété, dépression, tentative de suicide…55% des jeunes ont déjà été affectés par un problème de santé mentale). Cette situation déjà inquiétante s’est amplifiée depuis la pandémie ; le confinement, ayant accentué repli et isolement, dans un climat anxiogène.
Dans ce contexte où les besoins sont accrus, est dénoncée une baisse de moyens en santé tant en capacité d’accueil que de diagnostic, de traitement et d’accompagnement avec une saturation des dispositifs et l’existence de listes d’attente quasi généralisées.
Notre secteur en fait l’amer constat. Combien de services d’investigation ou d’accompagnement en protection de l’enfance ont encore un poste de médecin psychiatre existant et pourvu ?
Sur le terrain au quotidien, les travailleurs sociaux se heurtent à la difficulté d’investiguer, d’apprécier cette question de la santé mentale, d’orienter, d’accompagner parfois même de coopérer avec les services de psychiatrie : « ce n’est pas médical, c’est du social » versus « ce n’est pas du social, c’est psychiatrique »…avec des personnes ballotées tout autant que les professionnels en difficulté face à des situations où sont intriquées les problématiques éducatives, sociales et psychiatriques.
La santé mentale des personnes peut être affectée de manière temporaire, en raison d’un contexte, d’événements (deuil, séparation, chômage…) ou s’inscrire de manière durable, quelquefois dès l’enfance avec un diagnostic de pathologie généralement posé au terme de l’adolescence ou à l’âge adulte, mais aussi réactionnel à un vécu fortement traumatique. Le délire ou la pathologie pouvant être une réponse à une réalité insoutenable, un aménagement pour continuer à vivre.
La santé mentale demeure entourée de nombreuses représentations sociales souvent inquiétantes. Les faits divers les plus dramatiques impliquant des personnes atteintes de troubles psychiatriques sont largement médiatisés, contribuant à renforcer l’association entre maladie mentale et dangerosité. Pourtant, ces situations restent statistiquement marginales. Les études épidémiologiques montrent même que la grande majorité des violences sont le fait de personnes ne présentant aucun trouble psychiatrique. Ce décalage entre réalité et perception entretient la peur et la stigmatisation, alors même que la société dite « ordinaire » génère elle aussi de nombreuses formes de violence, plus diffuses mais bien réelles ( Cf.: rapport "Santé mentale : levons le tabou" publié en 2021 par la Défenseure des droits Claire Hédon)
Il y a autant de troubles de santé mentale, de pathologies que de personnes, plus ou moins durablement et gravement atteintes, stabilisées ou bien soumises à des épisodes aigus nécessitant hospitalisation, puis nouvelle stabilisation…Evaluer finement chaque situation est donc primordial. Si une personne malade est diagnostiquée, suivie avec un traitement adapté, elle peut être stabilisée et pour autant peut-elle mener une vie quotidienne normale ?
Certains troubles ou pathologies, légères ou stabilisées, ne remettent pas en question la capacité à assurer une fonction parentale et l’éducation quotidienne des enfants. Dans certaines situations, les enfants peuvent se développer normalement, si besoin avec le soutien ou l’étayage de ressources familiales, amicales, institutionnelles et/ou d’une mesure d’accompagnement éducatif.
Mais dans d’autres situations, les troubles psychiques ou la pathologie du parent sont plus graves ou massifs, au point qu’ils altèrent provisoirement ou durablement la parentalité et ont une incidence sur la capacité du parent à répondre aux besoins de l’enfant voire le mettent en danger et/ou compromettent sa bonne évolution :
Insécurité, instabilité, discontinuité, carences affectives, éducatives, mise en danger physique…à mettre en lien avec l’imprévisibilité, les éventuelles périodes de crises, l’exposition à des discours incohérents ou des comportements aberrants, avec hospitalisation, intervention des forces de l’ordre en cas de passage à l’acte, effets secondaires des traitements…
A ces difficultés psychiques peuvent s’ajouter des comportements de consommation de toxiques, eux-aussi en hausse : la consommation étant une première réponse disponible pour tenter de contenir, apaiser temporairement l’anxiété, la peur…une problématique d’addiction pouvant dissimuler des troubles psychiques ou favoriser leur émergence.
Dans un climat politique, économique, social et écologique qui peut être fortement anxiogène, la société se doit d’être inclusive et rappelle, en même temps, la question de la normalité alors comment prendre en compte autant de singularité ? L’école est démunie, les hôpitaux ne veulent pas enfermer des personnes dans des pathologies… le secteur social est sollicité.
Dans ce contexte, les professionnels du secteur, de la protection de l’enfance, de l’investigation sont en proie à bien des questions sur les compétences des parents présentant des troubles psychiatriques.
Comment aborder ces situations où ces problématiques de santé mentale sont présentes ? Sommes-nous assez formés et informés ?
Comment repérer, évaluer, orienter, définir les actions à mettre en œuvre, quel soutien à l’exercice de la parentalité pour mieux répondre aux besoins des enfants
Avec quels repères théoriques, cliniques ? Quelles stratégies et modalités d’intervention ? Existe-t-il des outils spécifiques, des expériences probantes ? Quels exemples de bonnes pratiques partenariales pluri-institutionnelles ? Comment se prémunir aussi du traumatisme vicariant quand les professionnels sont impactés par la répétition de situations éprouvantes ?
Devant des situations d’une telle complexité, l’intérêt de réfléchir en équipe, de coopérer entre professionnels du secteur de la santé, du social et des dispositifs de droit commun autour d’une même situation semble une évidence.
Ces journées d’études permettront d’alimenter et d’enrichir cette réflexion et ce dialogue intersectoriel et transdisciplinaire.